
Un numéro hors-série de Socialter rédigé avec l’association « Terres de luttes », est à lire pour se remonter le moral, au moment où on pourrait croire que l’écologie est une cause perdue, vu les régressions massives des budgets consacrés à l’environnement et à la transition climatique dans de très nombreux pays, aux USA et même en Europe et en France. Selon Socialter, l’image de ce que furent les syndicats dans l’histoire longue du socialisme, les collectifs de lutte sont le terreau et le bras armé de l’écologie politique.
Voici un extrait de ce qu’écrit « Terres de luttes » dans ce numéro :
« La première ambition de Terres de Luttes, que nous poursuivons avec ce hors-série, a donc été de documenter le mouvement des luttes locales en France. Car ce phénomène a longtemps été un « mouvement social qui s’ignore », selon les mots du sociologue Kevin Vacher, avec qui nous avons produit un rapport fin 2021 intitulé « Les David s’organisent contre Goliath2 ». Un constat ressort de cette étude : la force du mouvement réside dans les alliances étonnantes qu’il fait naître, rassemblant des naturalistes et des agriculteurs, des retraités et des jeunes, des élus locaux et des dégoûtés de la politique, des commerçants, des profs, des chasseurs, des altermondialistes historiques et des riverains se mobilisant la première fois contre le déni de démocratie, et les nuisances d’un projet polluant. Avec presque toujours la même ligne claire : les fermes-usines, entrepôts Amazon, mégabassines, autoroutes… ne doivent se faire ni ici ni ailleurs. Mis bout à bout, les projets polluants rendent en effet impossible l’atteinte des objectifs de neutralité carbone et de zéro artificialisation des sols, comme le montre une autre étude que nous avons commandée en 2022 aux ingénieurs du cabinet BL évolution. Alors qu’ils se gargarisent de lois et d’objectifs écologiques « exemplaires », nos dirigeants soutiennent ainsi des centaines d’infrastructures qui bétonnent et polluent l’air, les eaux, les sols, et participent au dérèglement du climat.
Le plus bel enseignement que nous offrent ces victoires est sans doute leur héritage : un tissu vivant de savoirs, de compétences et de solidarités qui perdure bien au-delà de l’abandon du projet contesté.
Nous avons donc travaillé à appuyer et structurer le mouvement des luttes locales de multiples manières, des recours juridiques à la médiatisation en passant par la recherche de financements ou l’organisation d’événements rassembleurs. En parallèle, en 2021, naissaient également les Soulèvements de la Terre, et nous avons comme beaucoup soutenu ce mouvement qui répond au besoin d’actions massives et radicales pour faire monter en puissance des luttes. Une myriade d’autres collectifs d’appui aux luttes se sont créés depuis : des naturalistes des terres aux réseaux de ravitaillement, de la Déroute des routes au collectif Résistances aux fermes-usines…
Quatre ans plus tard, nous constatons avec joie que ce mouvement des luttes locales est de plus en plus structuré : tous les mois, des temps collectifs ont lieu pour s’organiser, se transmettre des infos, trouver de nouveaux alliés – quand ce ne sont pas des festivals comme les Résistantes et autre « Village de l’eau » rassemblant des milliers de personnes. Il est devenu une composante majeure du monde militant, qui remporte déjà des centaines de victoires…
Rompre avec l’invisibilisation des victoires
Se pencher sur les victoires des luttes écologistes pendant une période politiquement morose peut paraître décalé, voire naïf. Soyons lucides : le droit de l’environnement est en train d’être détricoté méthodiquement, les lois sécuritaires se multiplient pour criminaliser la contestation, et les budgets environnementaux sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité. Sans parler des records de températures qui s’enchaînent, de l’effondrement accéléré de la biodiversité, de la montée des fascismes climatosceptiques à travers le monde et de la privatisation croissante des ressources communes – bref, le moment peut sembler mal choisi pour parler de victoires.
Pourtant, dans ce contexte suffocant, des brèches s’ouvrent dans le récit dominant. Et c’est justement parce que le contexte politique est particulièrement plombant qu’il est plus que jamais nécessaire de se demander : que faire ? Sans croire en une recette miracle, nous pensons que la réponse réside en partie dans nos dernières victoires.
Car mieux les comprendre peut nous fournir des clés essentielles sur des formes d’organisation, des tactiques et des stratégies qui ont fait leurs preuves. Et sur ce terrain, le constat est sans appel, comme le montre l’étude (« Quand la lutte l’emporte ») que nous avons publiée l’année dernière : au moins 162 projets inutiles et imposés ont été abandonnés depuis 2014. 162 fois, le récit du « on n’y peut rien » s’est effondré. 162 preuves que nos luttes ne sont pas vaines…
Non, tout n’est pas joué. Non, les jeux ne sont pas faits. Partout en France, des collectifs s’organisent, apprennent, gagnent en puissance. Ces luttes locales, mises bout à bout, dessinent les contours d’un autre modèle de société – plus démocratique, plus écologique, plus juste.
Les pages qui suivent racontent ces victoires dans leur pluralité et leur richesse. Elles sont un hommage à celles et ceux qui luttent. Elles sont aussi une invitation à l’action. Car la prochaine victoire sera peut-être la vôtre ! À condition d’oser croire qu’elle est possible, d’oser vous organiser collectivement, d’oser affronter ce qui semblait inéluctable. L’histoire nous le montre : quand la lutte s’organise, quand elle se nourrit des expériences passées et présentes, quand elle mobilise l’intelligence collective des territoires – alors elle l’emporte !
Socialter 2025/HS19 N° Hors-série : Territoires en résistance. 164 pages 19 €